Pierre SOULAGES, une œuvre contemporaine inspirée par le passé…

Une inspiration locale qui remonte à l’enfance…

Malgré son grand âge et la fatigue liée à une toute récente opération des yeux, Pierre Soulages s’illumine lorsqu’il parle de création et de ce qu’il appelle « ses racines artistiques ».

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Pierre Soulages, 10 janvier 2014, photo Rémy Gabalda pour ArtGallery.

 

Artiste contemporain majeur, rattaché à « l’École de Paris » de l’après guerre, il trouve son inspiration dans des œuvres souvent oubliées ou dénigrées par le passé. Originaire de l’Aveyron, région rurale du Sud-ouest de la France, où il a grandi et s’est nourri enfant, de ce que les ancêtres de cette riche contrée ont pu laisser en héritage. Des temps les plus anciens, « 180 siècles » aime-t-il répéter, comme pour se convaincre que cette distance temporelle, qui l’avait surpris quand il était jeune, est bien réelle, il a puisé le goût du noir, couleur qui est l’essence même de sa production. Il est alors entre étonnement et fascination quand il rappelle que les premiers artistes de l’humanité ont peint en noir dans l’obscurité des grottes. « L’outil n’est pas le noir, c’est la lumière. Le noir, c’est une couleur violente, elle s’est imposée, elle a dominée, c’est la couleur d’origine ».

 

« C’est elle qui m’a donné un choc décisif ».

Puis il poursuit en précisant que longtemps les sociétés européennes ont oublié l’art roman, cet art médiéval caractéristique des XIème et XIIème siècles, qui ne pouvait « être considéré » tant que la référence se cantonnait inlassablement à l’Antiquité, la Renaissance ou la période classique. C’est alors que jeune lycéen, il découvre lors d’une sortie avec sa classe en 1931 ou 1932, l’abbatiale de Conques non loin de Rodez. Il est fasciné par la sobriété de ses formes « arrondies et pures » et la beauté de la sculpture de son tympan qui vont marquer à jamais son travail. « J’étais dans un tel état d’exaltation, je me suis dit qu’il n’y a qu’une chose importante dans la vie, c’est l’art. J’aime la peinture, je serai peintre. Je me suis dit cela fermement. »

C’est à partir de ce jour qu’il commence à peindre quotidiennement.

 

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Détail d’un vitrail de Pierre Soulages, Abbatiale de Conques, (1987-1994), photo Rémy Gabalda pour ArtGallery.

 

On lui offre des peintures de couleurs, mais il n’y a que le noir de l’encrier qui l’intéresse et qu’il reporte sur des feuilles blanches, « qui ne sont pas blanches mais grises » explique-t-il. Il fait dès sa jeunesse, l’expérience du noir qui va le fasciner et le guider tout au long de ces années. Il raconte qu’enfant il n’a jamais été vraiment attiré par l’image en peinture. Bien au contraire son regard était attiré par une tâche de goudron, sorte d’éclaboussure noire à la fois lisse et marquée par les irrégularités de la matière, qu’il pouvait observer sur le mur en face de chez lui et qu’il aimait regarder pendant qu’il faisait ses devoirs.

Mais c’est également dans les statues-menhirs du Musée Fenaille, situé dans le centre de sa ville natale, que Soulages a puisé son inspiration dans sa jeunesse. Ces bas-reliefs monolithes retrouvés dans la région le fascinent. On retrouve dans ses œuvres peintes une forte charge émotionnelle qui se dégage de la pureté des lignes horizontales ou verticales et qui rappellent les drapés et les « formes simplifiées » de ces déesses préhistoriques comme la Dame de Saint-Sernin.

 

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La Dame de Saint-Sernin,grès, Chalcholithique, photo Musée Fenaille, Rodez.

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                        Pierre Soulages, « Peinture 263 x 181 cm, 2 juillet 2012,

                                            Dominique Lévy Gallery, New-York. 

           

C’est ainsi que Soulages a trouvé son inspiration dans des œuvres primitives dominées par le noir et par des formes pures et lumineuses. Il s’inscrit, entre autres, dans la lignée de Picasso qui, quelques décennies auparavant, s’est inspiré de l’art africain dit « primitif » et de l’art roman pour peindre en 1907, les Demoiselles d’Avignon, œuvre majeure de l’avant-garde du début du XXème siècle, et qui est considérée comme l’essence même de l’art contemporain

    MelGab, FaceB, 11 janvier 2014.

Le Musée Soulages de Rodez, prochainement inauguré au printemps 2014.


        « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ».

     Pierre Soulages

 

Le Musée Soulages, un des plus important centre d’art contemporain de la décennie, sera inauguré à Rodez au mois de mai prochain. La première pierre a été posée en octobre 2010, en plein centre ville, dans le jardin du Foirail, à deux pas de la maison natale de l’artiste (rue Combarel).

L’origine de ce projet remonte à 2005, lorsque Pierre et Colette Soulages font don de près de 500 pièces à la Communauté d’agglomération du Grand Rodez, ville où l’artiste est né en 1919. Il y a vécu une partie de sa jeunesse, jusqu’en 1938 où il s’installe dans la capitale. Cette donation a été classée « Musée de France ».

 

ImagePierre et Colette Soulages, dans un salon de l’Hôtel Mercure Rodez, lors d’une exceptionnelle rencontre avec des journalistes, le 10 janvier 2014. Photo Rémy Gabalda pour ArtGallery.

Parmi ces pièces, on compte 250 œuvres, des peintures sur toile, « mono-pigmentaires à variantes chromatiques » comme le précise l’artiste, et peintures sur papier dont les Brous de noix, caractéristiques des années de jeunesse vers 1947-48. Mais il s’agit aussi de l’œuvre imprimée constituée d’eaux-fortes, de lithographies et de sérigraphies ainsi que de sculptures, photographies et documents. Enfin, font partie de ce don, les travaux préparatoires des vitraux de l’abbatiale de Ste Foy de Conques, réalisés entre 1987 et 1994, dans ce haut-lieu de l’art roman. Pierre Soulages a d’ailleurs découvert ce site lors d’une sortie de classe en 1931 ou 1932, moment où il a commencé à peindre quotidiennement, « c’est elle qui m’a donné le choc décisif », raconte l’artiste. Ce don a été complété en décembre 2012 par 14 toiles issues des années 1946-1948 peintures ainsi que d’un outrenoir de 1986, jouant sur la réflexion de la lumière sur différentes surfaces noires.

C’est d’ailleurs cette longue et belle aventure des vitraux de Conques qui l’a encouragé à l’idée d’un musée monographique à Rodez, parmi toutes les autres propositions dont celle de la ville de Montpellier, où il a étudié aux Beaux-Arts dans les années 1940. Il ne lui est pas uniquement destiné puisqu’une salle d’exposition temporaire de 500 m2 a également été prévue.


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Photo Musée Soulages

Le Musée Soulages, un écrin contemporain planté dans le décor de la cité médiévale.

Un concours international a alors été lancé, et le projet a été confié à l’équipe d’architectes barcelonais RCR, parmi 98 candidats. Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vilalta ont créé un édifice de 6000 m2 parfaitement intégré dans le paysage urbain et dans le jardin du Foirail entièrement réaménagé pour l’occasion. C’est ainsi que « le musée naît du parc, qu’il participe à restructurer, à ordonner, à révéler et à clarifier ». Le bâtiment, dont Soulages reconnaît qu’il est encore plus beau que ce qu’il avait imaginé, forme un socle horizontal d’où émergent de puissants volumes monolithiques qui canalisent le regard. Ils sont bardés de plaques d’acier Corten rouge profond, qui font penser aux œuvres monumentales du sculpteur américain Richard Serra et dont l’austérité permettra, selon Pierre Soulages « de ne pas détruire le rapport au paysage ».

L’architecture a été pensée afin de respecter la fragilité des collections et les volumes ordonnés autour d’une lumière contrôlée entre plages obscures pour les papiers (brous de noix et gravures) et des boîtes élevées où la lumière zénithale illuminera les peintures et les cartons des vitraux de Conques. De même l’intimité sera privilégiée et le calme permettra la contemplation des œuvres. La scénographie alternera statisme et mouvement, entre les vitrines pour les œuvres sur papier et la modularité pour la nécessaire rotation des œuvres. Des explications et des mises en valeur par le jeu de films, de photographies, de livres et d’outils interactifs faciliteront la compréhension des œuvres de l’artiste.

Le site sera aussi doté d’une bibliothèque, d’un service éducatif, d’un atelier et d’un auditorium ainsi que d’un restaurant, à la gastronomie simple et accessible, proposée par les chefs aveyronnais Sébastien et Michel Bras.

Bien au-delà des espoirs de l’artiste, le Musée devra permettre au grand public de découvrir ses œuvres, exposées dans cet écrin contemporain, loin des enjeux financiers du marché de l’art et de ses tendances spéculatives.

MelGab, FaceB, janvier 2014.

Marius CASAR, un peintre gitan de Perpignan

Marius CASAR
&
La vie quotidienne des Gitans du quartier du Puig & de Saint-Jacques …

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Marius Casar est un peintre gitan qui vit à Perpignan. Il peint depuis plus de vingt ans la vie quotidienne des gens du quartier du Puig & de Saint-Jacques ainsi que l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui, de nomades et arrivés dans la région pour y faire des travaux agricoles dont les vendanges, se sont peu à peu sédentarisés et ont donné à la ville de Perpignan une « couleur tsigane » presque unique en France.

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Marius Casar, Le banc, 2002, huile sur toile, coll.privée

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Marius Casar, Discussion, 1999, huile sur toile, coll.privée.

Quelques éléments de sa biographie

Marius Casar est né en 1940 à Perpignan dans une famille modeste de la communauté gitane. Son père est chiffonnier et Marius doit travailler très jeune pour subvenir aux besoins de la famille. Il a toujours aimé les couleurs et les lumières si particulières de cette région que les Casar parcouraient en roulotte quand ils allaient faire les vendanges ou des travaux agricoles au gré des saisons. Il peint sa première toile en 1999, un portrait de sa femme assise devant la télévision. Puis Marius Casar se lance dans l’exécution de toiles dont les sujets traitent essentiellement de la vie quotidienne des Gitans du quartier du Puig & de Saint-Jacques de Perpignan.
Sa peinture, naïve et authentique, devient un des rares témoignages, haut en couleur, de la vie des Gitans de Perpignan tout au long du XXème siècle. Cela lui a d’ailleurs valu un certain isolement parmi les siens, dû à une incompréhension de son intérêt pour un art peu favorisé par les gens du voyage contrairement à la musique ou les arts du cirque.
Connu et apprécié à Perpignan, il a exposé plusieurs fois ses toiles dont la plupart appartiennent aujourd’hui à des collections privées.

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Marius Casar, La roulotte, huile sur toile, coll.privée.

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Marius Casar, les Vendanges, huile sur toile.

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Marius Casar, L’homme à la pipe et l’homme au chien, 2001, huile sur toile.

Son style

Il s’intéresse aux peintres Matisse, Lautrec ou Renoir, dont on retrouve l’influence dans les couleurs et le traitement des scènes de la vie quotidienne. C’est tardivement qu’il commence à peindre et trouve rapidement son propre style où domine une touche naïve, des couleurs vives et des aplats qui donnent à sa peinture un caractère original tout comme le choix de ses scènes où se mêlent portraits et scènes de la vie quotidienne des Gitans. Il est inspiré par les souvenirs de son enfance et de la vie en roulotte quand sa famille se déplaçait pour les travaux agricoles. La peinture de nus l’intéresse mais il ne développe pas ce style par pudeur et par respect pour sa famille.

combat de coqs partie de cartes

Marius Casar, Combat de coqs, 2001 & Jeu de carte, 2006, huile sur toile.

guitariste marchand de tableaux

Marius Casar, la guitare, 2006, Marché au puce, 2002, huile sur toile, coll. privée.

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Marius Casar, Matador & la danse, huile sur toile.

Poème de Louis Aragon L’étrangère

Poème L’Etrangère de Louis ARAGON,

« Le Roman inachevé », 1956.

 

Il existe près des écluses
Un bas quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s’use
À démêler le tien du mien
En bande on s’y rend en voiture,
Ordinairement au mois d’août,
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux.

On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains,
On n’a pas le temps de le croire
Il fait grand jour et c’est demain.
On revient d’une seule traite
Gais, sans un sou, vaguement gris,
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit.

J’ai pris la main d’une éphémère
Qui m’a suivi dans ma maison
Elle avait des yeux d’outremer
Elle en montrait la déraison.
Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon,
J’aimais déjà les étrangères
Quand j’étais un petit enfant !

Celle-ci parla vite vite
De l’odeur des magnolias,
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia.
En ce temps-là, j’étais crédule
Un mot m’était promission,
Et je prenais les campanules
Pour des fleurs de la passion.

À chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit,
Et la plus banale romance
M’est éternelle poésie
Nous avions joué de notre âme
Un long jour, une courte nuit,
Puis au matin : « Bonsoir madame »
L’amour s’achève avec la pluie.

Louis Aragon.

 

Des artistes inspirés par les Roms

Film de Tony Gatlif, Liberté, 2010.

Tony Gatlif (né en 1948) est un réalisateur de cinéma français engagé pour la cause tsigane qui est le sujet principal de ses films. Il s’attache tout autant à l’image qu’à la bande-son, la musique étant pour « cette liberté qui donne le souffle de faire les films, le souffle d’aller à la rencontre des autres dans le monde ». Ces plus grands films sont Latcho Drom, Gadjo Dilo, Vengo, Swing, Transylvania ou encore Liberté et Indignados, (le dernier sorti en 2012).

Quelques éléments de Biographie

Tony Gatlif, est né à Alger en 1948, de père Kabyle et de mère gitane. Il arrive à Paris dans les années 60, en pleine Guerre d’Algérie et après des temps difficiles, suit des cours d’art dramatique et rencontre Michel Simon. Il joue dans des pièces de théâtre et réalise son premier film en 1975, La Tête en ruine. Très rapidement, il s’attache dans ses films à traiter la cause gitane même s’il ne souhaite pas être associé à une communauté en particulier préférant se qualifier de « méditerranéen ».

Tony Gatlif, Liberté, 2010

Synopsis
Théodore, vétérinaire et maire d’un village situé en zone occupée pendant la seconde guerre mondiale, a recueilli P’tit Claude, neuf ans, dont les parents ont disparu depuis le début de la guerre. Mademoiselle Lundi, l’institutrice fait la connaissance des Tsiganes qui se sont installés à quelques pas de là. Ils sont venus pour faire les vendanges dans le pays. Humaniste et républicaine convaincue, elle s’arrange, avec l’aide de Théodore, pour que les enfants Tsiganes soient scolarisés.
De son côté, P’tit Claude se prend d’amitié pour Taloche, grand gamin bohémien de trente ans qui se promène partout avec son violon sur l’épaule. Mais les contrôles d’identité imposés par le régime de Vichy se multiplient et les Tsiganes, peuple nomade, n’ont plus le droit de circuler librement : Théodore cède alors un de ses terrains aux bohémiens, désormais sédentarisés.
Tandis que les enfants Tsiganes suivent les cours de Mademoiselle Lundi, P’tit Claude est de plus en plus fasciné par le mode de vie des Bohémiens – un univers de liberté où les enfants sont rois. Mais la joie et l’insouciance sont de courte durée : la pression de la police de Vichy et de la Gestapo s’intensifie et le danger menace à chaque instant. Comme ils l’ont toujours fait depuis des siècles, les Tsiganes devront reprendre la route…
Voir la bande-annonce et des extraits sur le Site de Première :

http://www.premiere.fr/film/Liberte-1372621

Un film qui traite du sujet presque inconnu des Porajmos, nom donné à la déportation des Gitans en France sous l’Occupation.

Tony Gatlif est le cinéaste des Gitans et, depuis plus de 30 ans, il filme  » sa famille « . Gadjo Dilo, le film qui l’a rendu célèbre, a montré une nouvelle image, grandiose et émouvante, du peuple rom. Liberté, son premier film historique, fait référence, dans une grande fresque émouvante, l’histoire de la déportation des Gitans en France sous l’Occupation.
Ce film est plus qu’une reconstitution, c’est une véritable restitution historique. Enfin, les Gitans peuvent à leur tour commémorer cet événement tragique de leur histoire qu’on s’est acharné à ignorer et mésestimer depuis trop longtemps et que l’on appelle Porajmos.
Tony Gatlif va encore plus loin dans ce film qui dépasse le simple sujet historique, il parvient à prendre de la distance avec le pathos pour nous parler de l’état de liberté permanent qu’incarnent les Gitans, ainsi que de leur formidable pouvoir de libération des contraintes et des normes sociales qui ne sont pas fixées par leur communauté.
La pensée philosophique occidentale associe le concept de liberté à une vision manichéenne : « négative » où la liberté n’est que conséquence de la nécessité (Spinoza, Nietzsche…), et « positive », où la liberté est un acte conscient de l’âme (Pascal, Kant…). Tandis que pour les Tsiganes, le concept de liberté est unique, on est et on naît nécessairement libre, et rien ne peut entraver cette liberté – pas même une guerre mondiale.
Mais Liberté de Tony Gatlif c’est aussi un film duel à la fois sur l’enfermement et la libération, les sédentaires et les nomades, la guerre, l’oppression, la tentation d’une société toujours plus policée. Ce film nous rappelle tout simplement qu’il n’y a pas de liberté sans libération.
Enfin, au-delà, ce que tente de nous dire le cinéaste, c’est qu’aujourd’hui dans nos sociétés, il n’y a plus réellement besoin de se libérer, mais il faut installer un « état de liberté ». Et c’est à cela que l’état postmoderne devrait s’employer.

D’après l’édito de Marc Benaïche, février 2010, Mondomix.
http://www.mondomix.com/video/grand-entretien-avec-tony-gatlif-liberte-egalite-tsigane

MelGab, Octobre 2013.

Des artistes inspirés par les Roms

Image Otto MüLLER (1874-1930)

Otto Müller est un peintre et imprimeur allemand, membre du mouvement expressionniste. Sa mère était tsigane, et il s’est intéressé à ce peuple avec qui il a vécu dans les Balkans et qu’il a peint dans les années 1920. Cette série de détrempe et de lithographie sont présentées lors de l’exposition « Art dégénéré » inaugurée à Munich le 19 juillet 1937.  Certaines d’entre elles ont été également exposées à l’exposition Bohèmes au Grand Palais de Paris en 2012.

Quelques éléments de biographie

Dans sa jeunesse, il pratique une peinture assez conventionnelle et  apprend la lithographie (1890-1894) et à partir de 1896 il entre aux Beaux-Arts de Dresde. Puis il poursuit ses études à l’académie des Beaux-Arts de Munich à partir de 1898, mais il est contraint d’abandonner en 1899, après avoir été qualifié d’artiste « sans talent ».

Il se marie avec Maschka Meyerhofer en 1905. Cette dernière lui sert souvent de modèle et reste sa confidente après leur divorce et les deux remariages.

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Un artiste lié aux avant-gardes allemandes des années 1900-1930 : Die Brücke & Blaue Reiter

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Otto Müller, Danseuse avec Nègre, 1903, détrempé sur toile, (91 x 65,5 cm), Collection privée.

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Otto Müller, Marischka au masque, 1919, détrempé sur toile, (95,8 × 67 cm), Musée Folkwang, Essen, Allemagne.

A son arrivée à Berlin en 1908, il se rallie à l’avant-garde et ses premières œuvres sont influencées par l’Impressionnisme, le Jugendstil et le Symbolisme. Puis il va se tourner de plus en plus vers l’expressionnisme après s’être installé à Berlin en 1908. C’est à cette époque qu’il fréquente le milieu artistique berlinois et il commence à peindre les corps de jeunes filles nubiles qui caractérisent son art, tout comme les détrempes qu’il aime utiliser dans ses œuvres.

En 1910, il rejoint le groupe d’artistes expressionnistes dresdois « Die Brücke », auquel il appartient jusqu’à leur séparation en 1913 en raison de dissensions artistiques. Dans le même temps, Müller entretient également des contacts avec les artistes du « Blaue Reiter ». Il développe son goût pour les couleurs tamisées à l’effet lyrico-décoratif.

Il s’engage volontairement dans l’armée allemande lors de la Première Guerre mondiale et participe aux combats en France et en Russie. Il contracte une pneumonie en 1917, qui manque de lui coûter la vie. Après la guerre, en 1919, il devient professeur à l’Académie nationale des Beaux-Arts de Breslau et se rebelle contre « le conformisme bourgeois » et s’attache au cercle bohème de Breslau.

Après 1918, il se voue à l’étude des Tsiganes au cours de voyages qui le mènent jusque dans les Balkans (Sarajevo et Split) où il est accueilli et peut vivre parmi eux comme un des leurs. Il rapporte sur ce peuple des toiles de plus en plus documentaires, mais toujours traitées dans le même style. Ces portraits de gitanes qu’il réalise au cours des années 1920 constituent le paroxysme artistique de son œuvre.

Otto Müller meurt en 1930 à Breslau.

En 1937, les nazis saisissent 357 de ses œuvres dans les musées allemands, qu’ils considèrent comme de l’Art Dégénéré. Certaines seront exposées lors de l’exposition « Art Dégénéré«  à Munich en juillet 1937.

Otto Müller, Bohème avec enfant, 1926, détrempé sur toile, (129,5 x 96,5 cm), Collection privée.

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Otto Müller, Allongée, 1926, détrempé sur toile, (60 x 89,5 cm), Collection privée.

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Otto Müller, La Madone bohémienne, 1926, détrempé sur toile, (87 × 70,5 cm), Hessisches Landesmuseum, Darmstadt, Allemagne.

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Otto Müller, Deux tsiganes, 1926, lithographie. 

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Otto Müller, Bohème de profil, 1926-1927, lithographie, (56 x 43,4 cm), Collection Karsch.

 

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Otto Müller, Deux Bohèmes assises et dénudées, 1926, détrempé sur toile
(100 x 138 cm), Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid, Espagne.

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Otto Müller, Deux Tsiganes dans leur intérieur (avec chat), 1928, (144×109 cm)

Le style Otto Müller

Otto Müller se distingue par le lyrisme qui se dégage de son œuvre, dont le sujet principal est l’harmonie entre les humains et la nature. Il opte pour une élégante simplification des formes, mais ne s’en écarte jamais ainsi que pour un choix de la couleur et du contour. Il possède une technique spéciale (peinture à la colle sur toile de jute). Cette technique rend les couleurs mates et assourdies, même lorsqu’elles obéissent à l’esthétique des oppositions pures à peine modulées. Il est par excellence un peintre de nus à la fois tranquilles et un peu tristes, aux visages vipérins et aux regards félins, placés en toute innocence dans des décors paradisiaques. Une grande sobriété se dégage de son œuvre, elle fait ainsi place aux émotions. Ses portraits, tout comme ses paysages, sont dominés par un calme profond.

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Otto Müller, Paysage, 1924, détrempé sur toile, (77 x 105,5 cm), Musée Folkwang, Essen, Allemagne.

MelGab, octobre 2013.

 

 

 

 

 

 

L’histoire des Roms au XXème siècle

camp de Marzahn, 1er camp d'internement pour Tsiganes à Berlin, date incertaine
Une histoire des Roms en Europe au XXème siècle….
Qui n’est malheureusement pas une épopée légendaire !

« Le rapatriement des Roms mis en œuvre de façon si tapageuse, dans un esprit de propagande, me semble socialement plus nocif que le débat sur l’identité nationale ; et cela non seulement pour la France, mais aussi pour le reste de l’Europe, parce qu’il est porteur de zizanie sociale. Il inocule dans la tête des citoyens culturellement plus fragiles l’idée que le malaise de société actuel, les problèmes économico-sociaux les plus évidents – le chômage, les violences dans les banlieues, l’impunité des grands groupes financiers et économiques, les dépenses militaires, le désastre environnemental, bref l’énorme insécurité que les citoyens ressentent en cette malheureuse période historique – sont la faute des Tsiganes. Désigner un bouc émissaire est un vieux réflexe européen. Nul besoin d’avoir une profonde culture pour savoir que le recours au bouc émissaire et le racisme s’allient toujours depuis toujours aux moments les plus difficiles que traverse l’Europe : on commence par stigmatiser le plus pauvre, puis on arrive aux Juifs, aux Arabes, aux homosexuels, aux handicapés, aux démunis, aux intellectuels, aux dissidents politiques. »
Ces mots sont ceux d’Antonio Tabucchi, écrivain et chroniqueur italien, ils ont été publiés dans le Monde Magazine, en septembre 2010 en pleine tempête médiatique sur les expulsions de Roms en France. Ils auraient pu être écrits ces jours-ci, car ils font, encore et toujours, un triste écho à l’actualité de ces dernières semaines. Même si à la tête du pays, les acteurs politiques ont changé, la situation n’a guère évolué. La crise, sous toutes ses facettes, s’installe encore plus profondément. L’opinion publique approuve les messages des politiques, elle a désigné un bouc émissaire, ce sera encore les Roms…Pour le moment ? Pour longtemps encore ?
L’opinion publique a-t-elle oublié qu’au siècle dernier, cette même communauté a été l’objet d’une extermination massive dans les chambres à gaz ? Ces atrocités portent le nom de « Porajmos » (ou Porrajmos, littéralement « dévorer »). On désigne ainsi, les persécutions envers les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, dont les proportions furent telles que la majorité des auteurs les considèrent comme constitutives de génocide. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1979 que la RFA reconnaît le caractère raciste des persécutions des Tsiganes par les nazis.

Détenus tsiganes Dachau 1938
Antonio Tabucchi précise ainsi, « Est-il possible que l’Europe ait déjà perdu la mémoire de sa honte ? Faut-il rappeler qu’avant-hier, à Auschwitz, furent brûlés entre 500 000 et 700 000 Tziganes ? Faut-il rappeler les temps les plus sombres que la France a réservés aux gens du voyage ? Faut-il rappeler qu’après la loi de 1912, les Tsiganes se sont vus imposer un carnet anthropométrique, qui devait être visé dans chaque commune à leur arrivée et à leur départ ? Faut-il rappeler qu’en octobre 1940, à la demande de l’occupant nazi, le gouvernement de Vichy interna des Tsiganes dans des camps de surveillance ? Faut-il rappeler le train, (billet «offert» par Pétain), qui de France, partit pour Auschwitz ? ».
Malgré une situation économique maussade, les pays européens comme la France et l’Italie ont les moyens et les capacités de faire sérieusement face à ce problème, de manière décente. Les sommes allouées aux expulsions pourraient être utilisées autrement afin de permettre des conditions d’accueil bien plus humaines. De plus, les autorités politiques européennes se doivent aussi d’agir concrètement en prenant en considération la spécificité de cette communauté attachée à ces valeurs culturelles et au principe du nomadisme. Dans une plus grande mesure il faudrait aussi prendre au sérieux la question des migrations humaines, qui sont une constante dans l’histoire de l’humanité et qui ne doivent pas faire l’objet d’échanges ou de « mesurettes » uniquement quand l’actualité tragique rattrape le calendrier législatif. C’est une question de responsabilité et de respect des valeurs civiques !

Camp de Rivesaltes, printemps 1942

Camp de Rivesaltes, printemps 1942

Les Roms au début du XXIème siècle

crédit photo Rémy GABALDA

crédit photo : Rémy GABALDA

Une histoire des Roms en Europe au début du XXIème siècle….
Qui n’est malheureusement pas une épopée légendaire !

En 1971, le nom de Roms est adopté lors du 1er congrès international des Roms à Londres. Un consensus permet alors d’officialiser cette dénomination et atteste le droit légitime de ce peuple à être reconnu en tant que tel.

Rom signifie « homme accompli au sein de la communauté ou homme marié et parent qui appartient à un groupe de voyageurs ». Cette minorité est de nos jours la plus importante en nombre en Europe ; elle y vit depuis le XVème siècle, voire même avant, tantôt acceptée tantôt rejetée. En France on les appelle aussi gitans, manouches, bohémiens, tsiganes.

Selon des estimations faites par l’European Roma Right Center, ils seraient entre 8 et 10 millions de Roms dans le monde et dont la majorité vit essentiellement en Europe (Balkans, Europe centrale, Europe de l’Est), mais aussi au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Amérique du Nord et du Sud. Les pays où ils sont les plus nombreux (plus de 5000 000) sont la Roumanie, la Bulgarie, les Pays de l’Ex-Yougoslavie, l’Espagne, la Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque, la Turquie, les États-Unis, le Brésil et l’Argentine. En France, ils seraient entre 350 000 et 500 000 dont la quasi-totalité est de nationalité française.

Beaucoup de Roms continuent à vivre selon leur mode de vie nomade, en voyageant en caravanes, mais souvent, ces communautés sont marginalisées et restent majoritairement exclues du marché de l’emploi, le taux de chômage est élevé, près de 61% qui n’aurait pas d’emplois.

La situation en France critique et majoritairement condamnée…

Avec l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, le 1er janvier 2007, la circulation des Roms roumains a été facilitée car ils n’ont plus besoin de visa pour entrer en France. Les expulsions de Roms se sont donc considérablement accrues et sont passées de 2 000 en 2003 à environ 8 000 en 2008.

Cependant, jusqu’en 2014, les ressortissants de la Bulgarie et de la Roumanie ne sont pas totalement bénéficiaires du principe de libre circulation européen et, pour travailler officiellement, ils ont besoin d’un titre de séjour et d’une autorisation de travail. De plus, la directive communautaire de 2004 sur la libre circulation des ressortissants de l’UE n’a pas été totalement transposée en droit français, notamment ses dispositions relatives aux garanties accordées aux personnes expulsées.

Depuis 2007, le nombre de reconduites à la frontière de Roms roumains en France se situe entre 8 000 et 9 000 par an, et représentent environ 30 % des objectifs chiffrés de reconduite à la frontière. Ces retours sont en grande partie volontaires, car ils sont assortis de primes (300 € par adulte et 100 € par enfant) et de la prise en charge du billet d’avion. 8 030 Roumains et Bulgares en situation irrégulière ont ainsi été reconduits par la France dans leur pays d’origine entre le 1er janvier et le 25 août 2010.

Crédit photo Rémy GABALDA

Crédit photo : Rémy GABALDA

A partir de l’été 2010, des expulsions massives ainsi que des démantèlements de camps illicites sont organisés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, déclenchant le début d’une vaste polémique qui perdure encore ces derniers temps.

Des circulaires du ministère de l’Intérieur à l’attention des Préfets où apparaît la mention « en priorité ceux des Roms », sont diffusées mais condamnées par des spécialistes en droit constitutionnel et par une partie de l’opinion publique. Elle serait aussi potentiellement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit les discriminations fondées sur la nationalité, la race ou l’appartenance ethnique. En pleine polémique, au cours de l’été 2010, le Pape Benoît XVI et le Parlement Européen critiquent la position de la France.

Le 27 août 2010, c’est au tour du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) de l’ONU qui demande à la France de « garantir l’accès des Roms à l’éducation, à la santé, au logement et autres infrastructures temporaires dans le respect du principe d’égalité » et se demande pourquoi elle n’a « toujours pas mis à la disposition des gens du voyage le nombre nécessaire d’aires d’accueil conformément à la loi du 5 juillet 2000 dite loi Besson ».

Avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, la situation ne s’est guère améliorée. Les expulsions et les démantèlements ont continué jusqu’à que ce que le ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement réactive la polémique en septembre dernier en déclarant que « seule une minorité des Roms cherche à s’intégrer » et que leur « mode de vie » était en « confrontation » avec celui des populations locales. Manuel Valls a d’ailleurs été vivement critiqué par des membres du gouvernement, des députés européens et la MRAP a déposé plainte contre lui pour « incitation à la haine raciale ». Au début du mois d’octobre, c’est l’expulsion de la jeune collégienne pendant une sortie scolaire qui a ravivé la polémique
Dans un tel contexte, il ne reste plus qu’à rappeler que le coût annuel de la reconduite des Roms pour le budget de la France est estimé entre 200 et 250 millions d’euros (selon les chiffres du Sénat français). Quels que soient les gouvernements qui se succèdent, la France ne parvient pas à trouver de solutions « intelligentes ».

Pourrait-on imaginer que cet argent soit réellement utilisé pour aider ces personnes à vivre plus dignement comme l’exige la loi ?