L’histoire des Roms au XXème siècle

camp de Marzahn, 1er camp d'internement pour Tsiganes à Berlin, date incertaine
Une histoire des Roms en Europe au XXème siècle….
Qui n’est malheureusement pas une épopée légendaire !

« Le rapatriement des Roms mis en œuvre de façon si tapageuse, dans un esprit de propagande, me semble socialement plus nocif que le débat sur l’identité nationale ; et cela non seulement pour la France, mais aussi pour le reste de l’Europe, parce qu’il est porteur de zizanie sociale. Il inocule dans la tête des citoyens culturellement plus fragiles l’idée que le malaise de société actuel, les problèmes économico-sociaux les plus évidents – le chômage, les violences dans les banlieues, l’impunité des grands groupes financiers et économiques, les dépenses militaires, le désastre environnemental, bref l’énorme insécurité que les citoyens ressentent en cette malheureuse période historique – sont la faute des Tsiganes. Désigner un bouc émissaire est un vieux réflexe européen. Nul besoin d’avoir une profonde culture pour savoir que le recours au bouc émissaire et le racisme s’allient toujours depuis toujours aux moments les plus difficiles que traverse l’Europe : on commence par stigmatiser le plus pauvre, puis on arrive aux Juifs, aux Arabes, aux homosexuels, aux handicapés, aux démunis, aux intellectuels, aux dissidents politiques. »
Ces mots sont ceux d’Antonio Tabucchi, écrivain et chroniqueur italien, ils ont été publiés dans le Monde Magazine, en septembre 2010 en pleine tempête médiatique sur les expulsions de Roms en France. Ils auraient pu être écrits ces jours-ci, car ils font, encore et toujours, un triste écho à l’actualité de ces dernières semaines. Même si à la tête du pays, les acteurs politiques ont changé, la situation n’a guère évolué. La crise, sous toutes ses facettes, s’installe encore plus profondément. L’opinion publique approuve les messages des politiques, elle a désigné un bouc émissaire, ce sera encore les Roms…Pour le moment ? Pour longtemps encore ?
L’opinion publique a-t-elle oublié qu’au siècle dernier, cette même communauté a été l’objet d’une extermination massive dans les chambres à gaz ? Ces atrocités portent le nom de « Porajmos » (ou Porrajmos, littéralement « dévorer »). On désigne ainsi, les persécutions envers les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, dont les proportions furent telles que la majorité des auteurs les considèrent comme constitutives de génocide. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1979 que la RFA reconnaît le caractère raciste des persécutions des Tsiganes par les nazis.

Détenus tsiganes Dachau 1938
Antonio Tabucchi précise ainsi, « Est-il possible que l’Europe ait déjà perdu la mémoire de sa honte ? Faut-il rappeler qu’avant-hier, à Auschwitz, furent brûlés entre 500 000 et 700 000 Tziganes ? Faut-il rappeler les temps les plus sombres que la France a réservés aux gens du voyage ? Faut-il rappeler qu’après la loi de 1912, les Tsiganes se sont vus imposer un carnet anthropométrique, qui devait être visé dans chaque commune à leur arrivée et à leur départ ? Faut-il rappeler qu’en octobre 1940, à la demande de l’occupant nazi, le gouvernement de Vichy interna des Tsiganes dans des camps de surveillance ? Faut-il rappeler le train, (billet «offert» par Pétain), qui de France, partit pour Auschwitz ? ».
Malgré une situation économique maussade, les pays européens comme la France et l’Italie ont les moyens et les capacités de faire sérieusement face à ce problème, de manière décente. Les sommes allouées aux expulsions pourraient être utilisées autrement afin de permettre des conditions d’accueil bien plus humaines. De plus, les autorités politiques européennes se doivent aussi d’agir concrètement en prenant en considération la spécificité de cette communauté attachée à ces valeurs culturelles et au principe du nomadisme. Dans une plus grande mesure il faudrait aussi prendre au sérieux la question des migrations humaines, qui sont une constante dans l’histoire de l’humanité et qui ne doivent pas faire l’objet d’échanges ou de « mesurettes » uniquement quand l’actualité tragique rattrape le calendrier législatif. C’est une question de responsabilité et de respect des valeurs civiques !

Camp de Rivesaltes, printemps 1942

Camp de Rivesaltes, printemps 1942

Les Roms au début du XXIème siècle

crédit photo Rémy GABALDA

crédit photo : Rémy GABALDA

Une histoire des Roms en Europe au début du XXIème siècle….
Qui n’est malheureusement pas une épopée légendaire !

En 1971, le nom de Roms est adopté lors du 1er congrès international des Roms à Londres. Un consensus permet alors d’officialiser cette dénomination et atteste le droit légitime de ce peuple à être reconnu en tant que tel.

Rom signifie « homme accompli au sein de la communauté ou homme marié et parent qui appartient à un groupe de voyageurs ». Cette minorité est de nos jours la plus importante en nombre en Europe ; elle y vit depuis le XVème siècle, voire même avant, tantôt acceptée tantôt rejetée. En France on les appelle aussi gitans, manouches, bohémiens, tsiganes.

Selon des estimations faites par l’European Roma Right Center, ils seraient entre 8 et 10 millions de Roms dans le monde et dont la majorité vit essentiellement en Europe (Balkans, Europe centrale, Europe de l’Est), mais aussi au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Amérique du Nord et du Sud. Les pays où ils sont les plus nombreux (plus de 5000 000) sont la Roumanie, la Bulgarie, les Pays de l’Ex-Yougoslavie, l’Espagne, la Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque, la Turquie, les États-Unis, le Brésil et l’Argentine. En France, ils seraient entre 350 000 et 500 000 dont la quasi-totalité est de nationalité française.

Beaucoup de Roms continuent à vivre selon leur mode de vie nomade, en voyageant en caravanes, mais souvent, ces communautés sont marginalisées et restent majoritairement exclues du marché de l’emploi, le taux de chômage est élevé, près de 61% qui n’aurait pas d’emplois.

La situation en France critique et majoritairement condamnée…

Avec l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, le 1er janvier 2007, la circulation des Roms roumains a été facilitée car ils n’ont plus besoin de visa pour entrer en France. Les expulsions de Roms se sont donc considérablement accrues et sont passées de 2 000 en 2003 à environ 8 000 en 2008.

Cependant, jusqu’en 2014, les ressortissants de la Bulgarie et de la Roumanie ne sont pas totalement bénéficiaires du principe de libre circulation européen et, pour travailler officiellement, ils ont besoin d’un titre de séjour et d’une autorisation de travail. De plus, la directive communautaire de 2004 sur la libre circulation des ressortissants de l’UE n’a pas été totalement transposée en droit français, notamment ses dispositions relatives aux garanties accordées aux personnes expulsées.

Depuis 2007, le nombre de reconduites à la frontière de Roms roumains en France se situe entre 8 000 et 9 000 par an, et représentent environ 30 % des objectifs chiffrés de reconduite à la frontière. Ces retours sont en grande partie volontaires, car ils sont assortis de primes (300 € par adulte et 100 € par enfant) et de la prise en charge du billet d’avion. 8 030 Roumains et Bulgares en situation irrégulière ont ainsi été reconduits par la France dans leur pays d’origine entre le 1er janvier et le 25 août 2010.

Crédit photo Rémy GABALDA

Crédit photo : Rémy GABALDA

A partir de l’été 2010, des expulsions massives ainsi que des démantèlements de camps illicites sont organisés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, déclenchant le début d’une vaste polémique qui perdure encore ces derniers temps.

Des circulaires du ministère de l’Intérieur à l’attention des Préfets où apparaît la mention « en priorité ceux des Roms », sont diffusées mais condamnées par des spécialistes en droit constitutionnel et par une partie de l’opinion publique. Elle serait aussi potentiellement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit les discriminations fondées sur la nationalité, la race ou l’appartenance ethnique. En pleine polémique, au cours de l’été 2010, le Pape Benoît XVI et le Parlement Européen critiquent la position de la France.

Le 27 août 2010, c’est au tour du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) de l’ONU qui demande à la France de « garantir l’accès des Roms à l’éducation, à la santé, au logement et autres infrastructures temporaires dans le respect du principe d’égalité » et se demande pourquoi elle n’a « toujours pas mis à la disposition des gens du voyage le nombre nécessaire d’aires d’accueil conformément à la loi du 5 juillet 2000 dite loi Besson ».

Avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, la situation ne s’est guère améliorée. Les expulsions et les démantèlements ont continué jusqu’à que ce que le ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement réactive la polémique en septembre dernier en déclarant que « seule une minorité des Roms cherche à s’intégrer » et que leur « mode de vie » était en « confrontation » avec celui des populations locales. Manuel Valls a d’ailleurs été vivement critiqué par des membres du gouvernement, des députés européens et la MRAP a déposé plainte contre lui pour « incitation à la haine raciale ». Au début du mois d’octobre, c’est l’expulsion de la jeune collégienne pendant une sortie scolaire qui a ravivé la polémique
Dans un tel contexte, il ne reste plus qu’à rappeler que le coût annuel de la reconduite des Roms pour le budget de la France est estimé entre 200 et 250 millions d’euros (selon les chiffres du Sénat français). Quels que soient les gouvernements qui se succèdent, la France ne parvient pas à trouver de solutions « intelligentes ».

Pourrait-on imaginer que cet argent soit réellement utilisé pour aider ces personnes à vivre plus dignement comme l’exige la loi ?

Sas pe ke kaj nas pe

Une histoire des Roms en Europe du XVème au XIXème siècle…
Qui n’est malheureusement pas une épopée légendaire !

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« Sas-pe-ke-kaj-nas-pe« , (il y avait ou il n’y avait pas), c’est par cette formule rituelle que commençaient les contes et les histoires légendaires des Tsiganes il y a de nombreux siècles.
Les Tsiganes, dont l’origine indienne, est aujourd’hui largement consentie, « ont le sens de l’épopée, le goût de la fable et de la ballade », comme l’affirme dans son ouvrage, les Tsiganes dans l’ancienne France en 1961, le premier historien des populations tsiganes, François de Vaux de Foletier. Au début du XIXème siècle l’écrivain romantique Georges Sand affirmait déjà à propos de leurs origines, ce sont « des Indiens purs sang qu’on a baptisés de tous les noms des pays traversés par eux dans leur longue et obscure migration à travers le monde ».

L’arrivée des Roms en Europe remonte au XVème siècle. Les premières sources mentionnent l’installation de tribus dans l’est de la France lors de l’été 1419 à Châtillon-sur-Chalaronne, Mâcon (Duché de Bourgogne) et Sisteron (Royaume de Bourgogne). Ils viennent alors de l’Empire byzantin voisin, où ils sont connus sous le nom d’Atsinganos qui a donné tzigane ou encore de Gyphtos qui signifie chaudronnier, ferronnier ou ferrailleur, en lien avec les métiers qu’ils exercent. Les pèlerins qui traversent l’Empire pour se rendre en Terre Sainte, rencontrent alors sur leur chemin ceux qui se font aussi appelés les Egyptiens (Gypsies, gitans, Egitanos).
Quelques années plus tard, en août 1427, ils sont signalés dans le Journal d’un bourgeois de Paris. Ce dernier mentionne l’arrivée de 100 à 120 hommes, femmes et enfants qui se présentent à l’évêque de Paris comme chrétiens, pèlerins et pénitents recommandés par le Pape et originaire d’Egypte. Ils sont accueillis à la chapelle de Saint-Denis. Leurs tenues vestimentaires et leurs anneaux aux oreilles attirent les curieux qui se laissent aller aux tours de magie et de chiromancie, mais les bourses des passants se vident et ils sont alors excommuniés et doivent très vite partir poursuivre leur route.
Ils gagnent ainsi la confiance de certains seigneurs intéressés par leur connaissance du travail des métaux, des chevaux ou encore des arts de la danse à la guerre. Se faisant eux-mêmes appelés ducs ou comtes de la petite Egypte (Grèce actuelle), ils fascinent autant qu’ils suscitent le rejet. Ils obtiennent la protection du Pape ou du roi de Bohème et survivent alors grâce à des aumônes publiques, privées ou des soldes et rapines allant de ville en ville, s’installant plus ou moins longuement selon l’accueil. Ils prennent des noms français mais demeurent étrangers et fidèles à leurs coutumes. Très vite, la mauvaise réputation les accable, traités entre autres de « voleurs de poules », ils font l’objet d’expulsion ou de sédentarisation forcée. Le XVIème siècle est toutefois favorable aux Tsiganes grâce à l’ouverture sur le monde et la découverte de l’Autre (Indes orientales et occidentales).

Au siècle des Lumières, les philosophes ne les épargnent guère à l’exception de Rousseau. Dans l’Encyclopédie c’est ainsi que Voltaire définit les Egyptiens, « Espèce de vagabonds déguisés, qui, quoiqu’ils portent ce nom, ne viennent cependant ni d’Égypte ni de Bohème, qui se déguisent sous des habits grossiers, barbouillent leur visage et leur corps, et se font un certain jargon, qui rôdent çà et là, et abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne aventure et de guérir les maladies, font des dupes, volent et pillent dans les campagnes».

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Au XIXème siècle, les transformations économiques et sociales bouleversent la société européenne qui s’individualise, les Tsiganes sont alors marginalisés et leurs activités traditionnelles effacées. De nombreux bohémiens arrivent d’Europe de l’Est en lien avec la fin du servage. Parmi les artistes, les Romantiques s’inspirent de la liberté apportée par le mode de vie des bohémiens. Ainsi George Sand dans la Dernière Aldini en 1838 fait dire à son héros Lélio « Narguons l’orgueil des grands, rions de leurs sottises, dépensons gaiement la richesse quand nous l’avons, recevons sans souci la pauvreté si elle vient ; sauvons avant tout notre liberté, jouissons de la vie quand même, vive la Bohème ! ».
La notion de Bohème va alors être associée au mode de vie choisi par les artistes à partir de la fin du XIXème siècle qui favorise avant tout la liberté dans la création artistique.

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Léonarda & l’expo Bohèmes au Grand Palais de Paris

L’actualité nous interpelle et nous amène souvent à nous interroger et à prendre position comme c’est le cas ces derniers jours avec ce que l’on appelle désormais « l’affaire Léonarda ». Cette jeune fille rom, a été expulsée de France, après avoir été interpellée par la police française alors qu’elle était en sortie avec sa classe. Le père kosovar, qui avait fait une demande d’asile politique a menti en déclarant que toute la famille, sa femme et ses 6 enfants, étaient tous kosovars espérant ainsi attirer la compassion des autorités françaises et l’acceptation d’une régularisation administrative.
Emue par cette interpellation inacceptable dans un tel contexte-là, j’ai été poussée par la curiosité de mieux comprendre cet événement aussi dramatique que médiatique. Léonarda est une jeune fille rom dont le père originaire du Kosovo s’était mis en quête d’une vie meilleure pour sa famille. Issue de ce peuple nomade, mal compris depuis de nombreux siècles, il est important aujourd’hui de revenir sur son histoire afin de changer le regard sur ces enfants, ces femmes et ces hommes rejetés depuis presque toujours.
Je n’en étais pas à une première découverte, passionnée par l’histoire des civilisations, intéressée par la dimension culturelle de ce peuple, je me suis souvenue de cette exposition parcourue il y a bientôt un an, au Grand Palais à Paris, intitulée Bohèmes. C’était alors intéressant de constater que les acteurs des institutions culturelles françaises avaient eu la volonté de contextualiser l’histoire des « bohémiens » à travers l’art européen depuis le XVème siècle. L’exposition, de grande qualité, présentait un nombre d’œuvres, qui bien que limitées, s’intégraient parfaitement dans une scénographie très originale. Elle permettait ainsi aux visiteurs de voir et de comprendre, à travers les siècles, quel regard les sociétés passées ont posé sur ces personnes nomades dont les modes de vie si différents ont engendré rumeurs, légendes et idées reçues dont il sera très difficile de se défaire tant elles sont encore si tristement ancrées aujourd’hui…
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